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La chaise vide
Une nouvelle de Hervé Huguet
Jean observe la table du réveillon. Tout semble à sa place. Il réaligne un verre, légèrement décalé. Jean a besoin que chaque élément de la table soit parfaitement agencé. Comme chaque pensée.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Son épouse situe ce nouveau comportement à l’époque de sa libération. Depuis son retour, Jean ressent un besoin irrépressible d’ordre. Chaque objet, comme chaque pensée doit trouver sa place afin que le chaos ne puisse plus pénétrer son univers.
Il n’a jamais compris pourquoi lui ? Certes son ONG , comme tous les organismes humanitaires, était une cible potentielle, mais Bamako n’était pas, à l’époque, particulièrement à risque. Pas plus que la plupart des villes d’Afrique occidentale. Son taxi avait dû s’arrêter à un barrage pour un contrôle qu’il pensait de routine mais qui s’était avéré un guet-apens.
De ses dix mois de captivité, il n’avait jamais rien raconté, mis à part ce qu’il avait rapporté aux agents de le DGSE , lorsqu’ils l’avaient débriefé. Dix mois à s’interroger, encore et encore. Pourquoi moi ? Qu’aurais-je dû faire pour éviter cela ? Même s’il s’en protégeait, il continuait, régulièrement à se poser ces questions auxquelles, il le savait pourtant, aucune réponse sensée ne pouvait être apportée. Seulement le mauvais endroit au mauvais moment. Et la folie de ces hommes dont les instincts débridés s’épanouissaient avec la bénédiction d’un dieu qu’ils s’étaient forgé au profit de leurs seuls intérêts.
En secret, Jean revivait les jours de peur, de prostration, d’espoir… Il se souvenait des scènes que sa mémoire avait convoquées en mode survie. Il savait que l’entretien de son mental était aussi important que celui de son corps. Il devait faire face aux agressions physiques mais, plus encore, à la torture psychologique. Lui revient à l’esprit ce soir de Noël où, isolé dans un cachot sans fenêtre, il avait subi les sarcasmes de ses geôliers sur l’impuissance du Messie à venir le sauver. Il s’était réfugié dans son passé.
Il s’était revu, petit garçon, la nuit de Noël. Il était allé se coucher avec ses frères et sœurs, avant que ses parents ne se rendent à la messe de minuit. Quand il s’était réveillé, la pendule de sa chambre indiquait 2 heures. Il s’était levé et dirigé vers la salle à manger d’où provenait une conversation animée.
À la table se trouvaient son père, sa mère et ses grands-parents maternels.
- Que fais-tu debout à cette heure ? Retourne immédiatement te coucher.
- Édouard, c’est Noël, Jean peut rester un moment avec nous.
Sa mère s’était fait l’avocate d’un sursis privilégié.- D’ailleurs, la chaise est toujours vide. Il peut venir
à table avec nous.
Jean avait ainsi découvert le secret de ce couvert dressé à la table de Noël et qui ne correspondait à
aucun invité.
- Nous mettons ce couvert pour pouvoir accueillir quelqu’un qui sonnerait à la porte pour
demander l’hospitalité, en cette nuit de la naissance du Christ.
Tous les ans, ses parents dressaient la table avec cette plce que personne, jamais, n’était venu occuper.
Jean n’avait pas fait remarquer à ses parents qu’ils auraient pu inviter l’un ou l’autre de ces sans abri
qui passaient, dans la rue, cette fête de la nativité.
Mais ce soir de captivité, le souvenir de cette nuit lui avait apporté la consolation qui lui avait permis
de tenir. C’était lui l’inconnu accueilli à la table du réveillon. À sa façon, le petit Jésus le sauvait.
À son retour, il avait réintroduit ce rite de la chaise réservée. Ses enfants lui avaient objecté que s’il
n’invitait pas quelqu’un dans le besoin, cela n’avait pas vraiment de sens. Il revendiquait la part du
hasard. Celui de son enlèvement avait été malheureux ; il souhaitait que cette place vide soit le symbole
d’un hasard heureux. C’est ainsi que perdurait cette tradition ou, plus précisément, la commémoration de cette nuit de survie.
…
La suite à lire dans "La longue robe noire" https://www.lysbleueditions.com/produit/la-longue-robe-noire/
© Hervé Huguet / Le Lys Bleu